CAPSULE 2/4 | Le régime des sanctions de l’ONU sur Haïti en plein dans l’imposture
Par Wisvel Mondélice
Dans la première capsule, nous avons souligné que jusqu’à présent les personnes sanctionnées par les États-Unis et le Canada sont des barons, fondateurs, alliés et financeurs du PHTK. Nous avons aussi relaté et questionné l’anticipation des deux puissances nord-américaines qui imposent des sanctions depuis le 03 novembre 2022, 13 jours après l’adoption de la Résolution 2653, sans attendre que le Comité des sanctions indique les personnes à sanctionner dans le délai qui a été fixé (60 jours). Dans cette partie, l’accent est mis sur l’imposture caractérisant cette mesure.
La mainmise de certains pays impérialistes, notamment des États-Unis, sur Haïti ne se discute pas. Ils contrôlent presque tous les pouvoirs. Ils dictent des décisions majeures à prendre sur le plan politique et économique. Ils affaiblissent les institutions en complicité avec certains acteurs nationaux. Ils sont coresponsables de l’affaissement de l’État et la faillite économique du pays. Cela étant dit, ils sont les coconcepteurs du chaos en Haïti.
En ce sens, les artisans du malheur de la population haïtienne ont leurs racines dans ces pays : nationalité, comptes bancaires, biens mobiliers et immobiliers, famille, etc. Les États-Unis et le Canada ont assurément été au courant de l’implication des personnes sanctionnées dans des activités malhonnêtes en Haïti. En effet, le communiqué du gouvernement américain en coordination avec le gouvernement du Canada annonçant les sanctions contre des politiciens haïtiens a dévoilé ceci :
L’histoire de Lambert avec le trafic de drogue couvre deux décennies. Pendant ce temps, Lambert a utilisé sa position pour diriger et faciliter le trafic de cocaïne de la Colombie vers Haïti et pour faciliter l’impunité en Haïti pour d’autres trafiquants de stupéfiants[1].
Ils n’ont pas pourtant aidé à combattre leurs réseaux mafieux. La raison est claire : on ne scie une branche sur laquelle on est assis. Les gangs sont une arme de domination pour les pays impérialistes.
Remarquons aussi que, jusqu’à présent, les autorités policières et judiciaires haïtiennes restent silencieuses sur le dossier des personnes sanctionnées. Au moins deux raisons expliquent ce calme plat. Premièrement, à travers la Résolution 2653, le Conseil de sécurité n’oblige pas directement l’État haïtien à sanctionner à son tour les personnes indiquées. Deuxièmement, un déficit, sinon une absence de transparence dans les sanctions imposées. En effet, le 24 novembre 2022, la ministre a.i de la Justice et de la Sécurité publique, Emmelie Prophète Milcé, questionnée sur les sanctions, a indiqué que le gouvernement haïtien va chercher la meilleure formule afin d’avoir accès aux dossiers des personnes qui sont sanctionnées. C’est la preuve que la prise en charge et le suivi nécessaires de ce dossier en Haïti ne sont pas pour demain.
Plus loin, l’article 3 du projet de résolution fait une précision qui nous parait digne d’être soulignée. Il stipule :
… tous les États Membres doivent, pour une période initiale d’un an à compter de l’adoption de la présente résolution, prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes désignées par le Comité créé au paragraphe 19 ci-dessous, étant entendu que rien dans les dispositions du présent paragraphe n’oblige un État à refuser l’entrée sur son territoire à ses propres nationaux[2].
Considérant que beaucoup d’acteurs politiques et économiques en Haïti adoptent fort souvent au moins une nationalité étrangère, il y a lieu de douter que cette disposition soit appliquée contre toutes les personnes désignées, voire si elles résident déjà dans les pays concernés. Dans ce cas, les puissances impérialistes influentes en Haïti peuvent sanctionner les ressortissants étrangers vivant dans d’autres pays et éviter de le faire contre ceux qui ont acquis leur nationalité. À juste titre, le nombre de personnes sanctionnées par le Canada ne correspond pas à celui sanctionné par les États-Unis.
Enfin, vu le soutien des puissances impérialistes influentes en Haïti au gouvernement de facto d’Ariel Henry, le régime des sanctions n’est pas en odeur de sainteté. Nous ne nions pas que la Résolution 2653 puisse servir à lutter contre les gangs et leurs supporteurs. Pour ce faire, une autre approche de l’ONU, notamment du Conseil de sécurité, sur la situation politique actuelle du pays s’avère nécessaire. Comment adopter des mesures contre des acteurs impliqués dans l’économie criminelle en Haïti et supporter en même temps un gouvernement d’un régime (PHTK) dont les concernés sont fondateurs, alliés et « anciens financeurs »[3] ? Comment envisager actuellement en Haïti la prise en charge et le suivi du dossier des personnes sanctionnées pour leur participation ou leur soutien à des criminels avec un gouvernement dont le Premier ministre lui-même est soupçonné d’avoir participé à l’assassinat d’un ancien président ?
Entre-temps, Ariel Henry et son gouvernement de facto sont plutôt confortables. Ariel Henry poursuit sa duperie en suivant attentivement les échéances de l’ONU en général, du Conseil de sécurité en particulier. À chaque moment, il fait semblant de prendre des initiatives en vue de résoudre la crise. Il a en effet fait signer deux soi-disant accords le 11 septembre 2021 et le 21 décembre 2022. Ces initiatives sont prises respectivement à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU (21-27 septembre 2021) et d’une réunion de Conseil de sécurité sur la situation d’Haïti (21 décembre 2022).
Face à une résolution ne précisant pas le rôle de l’actuel gouvernement de facto du régime PHTK dans l’application du régime des sanctions et considérant le soutien des pays impérialistes influents en Haïti, notamment des États-Unis, à ce gouvernement, le chaos se conforte sur un fond diplomatique.
NOTES
[1] Voir https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1080, consulté le 29 janvier 2023.
[2] Le caractère gras est de nous.
[3] Qui sait s’ils ne financent pas jusqu’à présent la troisième version du régime.