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Haïti s’enfonce dans la crise tandis que le Core Group maintient Ariel Henry au pouvoir

Haïti s’enfonce dans la crise tandis que le Core Group maintient Ariel Henry au pouvoir

Par Wisvel Mondélice

En Haïti, la crise socio-politique, économique et institutionnelle prend de l’épaisseur d’heure en heure. Elle se manifeste sous diverses formes et engendre de graves conséquences sur les couches les plus vulnérables de la population. Utilisé dans un contexte général, le terme [crise] renvoie à la fois à une rupture des dynamiques et équilibres antérieurs et à une incapacité présente à réguler ou à stabiliser le jeu des relations pour assurer une suffisante stabilité [1]. Dans le cas d’Haïti, plus la crise s’envenime, plus certains acteurs veulent la pérenniser au lieu de la conjurer.

Dans l’aggravation de la situation du pays, le Core Group est connu actuellement comme ayant une responsabilité majeure. Cette structure, devons-nous le rappeler, est composée des Ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union Européenne, du Représentant spécial de l’Organisation des États Américains et de la Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies. Mais il n’est pas le seul acteur de la crise. L’on peut citer : le Premier ministre de facto Ariel Henry – le troisième représentant du Parti haïtien tèt kale (PHTK) au timon des affaires de l’État haïtien -, les organisations politiques et sociales [réelles ou fantômes] ayant signé l’« Accord » du 11 septembre 2021 et les dix-huit (18) ministres de ce gouvernement de facto. Quinze (15) mois après que le Core Group ait désigné Ariel Henry comme Premier ministre, treize (13) mois après la signature de l’« Accord » du 11 septembre 2021, trois (3) mois après le renouvellement du mandat du BINUH, il est évident que la situation globale du pays est catastrophique. Faisons une petite rétrospection pour mieux analyser la crise actuelle en partant des émeutes de 2018.

Le peuple haïtien se défend, le Core Group attaque, certains acteurs politiques profitent

Un cycle de mobilisation s’est déclenché dans le pays les 6, 7 et 8 juillet 2018 à la suite de l’augmentation des prix des produits pétroliers par l’administration de l’ex-président Jovenel Moïse. Celle-ci s’est obstinée à exécuter l’ordre du Fonds monétaire international (FMI) qui s’oppose à l’idée de subventionner le carburant dans le pays. En outre, d’autres manifestations ont eu lieu un peu partout sur le territoire. Les manifestants ont dénoncé la corruption (notamment dans la gestion des fonds du programme de Petrocaribe) et le projet de loi de finances 2017-2018 dit criminel. Ils ont aussi protesté contre l’ex-président Jovenel Moïse. En dépit des intenses mouvements de protestation, grâce à l’appui de la communauté internationale, notamment des États-Unis d’Amérique, Jovenel Moïse est resté au pouvoir après la fin constitutionnelle de son mandat, le 7 février 2021, et ce, jusqu’à son assassinat le 7 juillet de la même année.

À la suite de l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse, pour mettre fin au conflit de leadership entre le premier ministre sortant, Claude Joseph, et l’entrant, Ariel Henry, nommé quarante-huit (48) heures avant l’assassinat, le Core Group a choisi le second en lui confiant la mission « d’organiser les élections générales le plus vite que possible ». Recherchant de façon malhabile une forme de légitimité, Ariel Henry a fait publier au journal officiel Le Moniteur[2] l’« Accord » politique pour une gouvernance apaisée et efficace de la période intérimaire, communément appelé Accord du 11 septembre 2021. Avec ce document signé notamment par quelques ancien.e.s opposant.e.s[3] de Jovenel Moïse, les luttes populaires déclenchées au début du mois de juillet 2018 ont changé de cadre, passant ainsi des manifestations de rue à l’espace de concertation et de dialogue politiques. Ce qui a favorisé certains acteurs politiques parfois chahutés et mis à l’écart pendant les mobilisations et renforcé l’emprise des États-Unis d’Amérique qui exercent aisément leur domination sur ces acteurs. Ainsi le pouvoir exécutif est-il exercé par Ariel Henry et ses ministres de facto qui ne manifestent aucune volonté d’aborder les grandes questions nationales, dont l’insécurité, le dysfonctionnement des institutions républicaines et l’inflation.

Des missions pour renforcer la dépendance du pays en le faisant rêver sans vraiment l’aider

Le Conseil de sécurité de l’ONU a entre-temps renouvelé, le vendredi 15 juillet 2022, le mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) pour une année supplémentaire. Cette mission politique spéciale créée le 25 juin 2019 par la résolution 2476 du Conseil de sécurité a remplacé la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH). Cette dernière a succédé à la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), toutes des missions qui ne font que souiller la souveraineté du pays. Selon la résolution qui a renouvelé le mandat du BINUH, celui-ci doit, entre autres, contribuer au renforcement de la gestion et du contrôle des frontières et des ports, contribuer à lutter contre le trafic et le détournement d’armes et de munitions sur le territoire, soutenir tous les efforts déployés pour lutter contre les gangs. Malgré la présence du BINUH, la situation sécuritaire s’est aggravée en Haïti. En cela, plus d’un estime que le BINUH est complice de ladite situation et proteste contre cette mission dont le départ inconditionnel du pays est vivement exigé.

L’organisation précédemment citée (le Core Group) et toutes ses composantes ne se contentent pas de mettre en place des dispositifs en vue de l’application de leur agenda politique en Haïti, elles prennent constamment des positions qui traduisent leur volonté de pérenniser la crise à leur profit. L’entretien du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres[4], à France 24 et Radio France international (RFI) le 18 septembre 2022 ; celui du secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro[5], à Miami Herald le 11 août 2022 ; les propos de Juan Gonzalez[6], l’assistant principal du président Joe Biden, rapportés par Miami Herald le 19 septembre 2022 en témoignent. Ces déclarations prouvent qu’ils sont tous solidaires du gouvernement de facto d’Ariel Henry.

Niant leur responsabilité dans la crise en Haïti[7] et sapant tous les efforts concertés de beaucoup d’acteurs nationaux en vue de la résoudre, ces institutions (le Core Group et ses membres) souhaitent toujours remplir la fonction de médiation ou s’autodéfinissent paradoxalement comme instances de médiation quand elles n’ordonnent pas tout bonnement ce qu’il faut faire. En ce sens, Luis Almagro a déclaré à Miami Herald le 11 août 2022 :

De toute évidence, nous n’avons jamais eu les ressources financières pour construire des institutions en Haïti. Clairement, nous n’avons jamais eu les ressources financières pour assurer la sécurité en Haïti, et clairement nous n’avons jamais eu les ressources financières pour le développement d’Haïti. C’est ce que nous demandons maintenant, parce que rien d’autre n’a fonctionné. Nous demandons de nous laisser assumer cette responsabilité, maintenant, dans le pire moment d’Haïti[8].

Quid du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a réaffirmé « la nécessité pour toutes les parties prenantes haïtiennes de parvenir, avec l’appui du BINUH, à un accord urgent sur un cadre pérenne […][9] » ? Le BINUH est-il en train d’appuyer une recherche de solution à la crise ? Nous n’en sommes pas certains. Il est difficile d’imaginer que cette mission pourrait contribuer à la résolution de la crise en Haïti. Ce serait trop vite oublier une donnée essentielle : c’est Mme Helen Meagher La Lime la responsable du BINUH. Elle est aussi la représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en Haïti. Sur la situation sécuritaire d’Haïti, le rapport du Secrétaire général de l’ONU présenté au Conseil de sécurité le 25 septembre 2020 a fait état d’une diminution des actes criminels dans le pays du 1er juin au 31 août 2020 grâce à la Fédération des gangs du G9. En fait, le BINUH ne contribue pas à combattre les gangs. Cela étant dit, aucune des composantes du Core Group n’a ni la légitimité, ni la réputation qu’il faut pour appuyer un processus de dialogue en vue de la résolution de la crise en Haïti. Vu le ras-le-bol du peuple haïtien en lutte envers ces organisations, elles doivent envisager autre chose. À quelle panacée pensent-elles déjà ?

L’occupation militaire, l’option adoptée par les forces impérialistes pour mieux enfoncer le pays dans le chaos

À l’ex-ambassadrice très critiquée des États-Unis d’Amérique en Haïti (2012-2015), Pamela Ann White, d’anticiper. En effet, estimant qu’« il est temps de jeter les gants et d’arrêter de prétendre que la diplomatie “normale” fonctionnera en Haïti », elle a indiqué, le 29 septembre 2022, qu’il faut des « bottes sur le terrain dès maintenant ». En guise de collaboration[10], Ariel Henry et les dix-huit (18) ministres de son gouvernement de facto en ont fait la demande formelle à travers une résolution publiée dans le journal officiel Le Moniteur le 07 octobre 2022. Encore des bottes comme en 1492, en 1915, en 1994 et en 2004. Face aux calamités qu’elles nous inventent, certaines « grandes » ambassades, notamment celle des États-Unis d’Amérique, pensent à nous imposer de fausses solutions juste dans leur propre intérêt. C’est la raison pour laquelle elles n’ont pas intérêt à ce qu’une issue haïtienne soit trouvée à la crise qui ronge le pays.

À mesure que la crise perdure en Haïti, la communauté internationale impérialiste, sous la baguette du gouvernement américain, soutient Ariel Henry[11]. Chez Ariel Henry lui-même, il y a une absence manifeste de volonté d’aborder la crise. Son attitude l’a déjà prouvé lors des rencontres avortées avec certains acteurs. Entre-temps, la situation du pays est caractérisée par l’augmentation de la violence des gangs, l’accentuation de l’inflation par l’augmentation des prix de l’essence, les intenses mouvements de protestation réclamant la démission d’Ariel Henry et de son gouvernement de facto, etc. Dans ce contexte, le ministre des affaires étrangères et des cultes, Jean Victor Généus, a déclaré, le 24 septembre 2022, à la 77ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, que la situation du pays est globalement sous contrôle. De quel contrôle s’agit-il ?

Conclusion

À un moment où la crise d’Haïti dépasse son état de pourrissement, Ariel Henry et son gouvernement de facto, dans le mépris total du peuple haïtien, attendent le « verdict » du Conseil de sécurité des Nations Unies qui sera prononcé probablement le 17 octobre 2022, date de la commémoration du 216ème anniversaire de l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines en Haïti. Conscients que les forces impérialistes sont dominantes au sein de l’ONU (notamment au Conseil de sécurité), nous n’occultons pas les contradictions qui s’y expriment fort souvent. Cela étant dit, il ne tient qu’aux forces progressistes haïtiennes de tenir compte de façon lucide de ces contradictions dans leurs luttes. Aussi, il revient au peuple en lutte de demeurer actif et mobilisé, aux organisations politiques et de la société civile soucieuses d’une solution haïtienne à la crise d’intensifier les discussions en accord aux revendications populaires en vue d’une issue conséquente à la tragédie en cours, enfin, à la gauche progressiste et révolutionnaire de se mettre à la hauteur de ses responsabilités.

NOTES

[1] Giust-Desprairies, F. (2016). Crise. Dans : Jacqueline Barus-Michel éd., Vocabulaire de psychosociologie: Références et positions (pp. 110-119). Toulouse: Érès. https://doi.org/10.3917/eres.barus.2016.01.0110

[2]  Spécial No 46 sorti le vendredi 17 septembre 2021.

[3] André Michel, Marjorie Michel, Nenel Cassy, Edmonde Supplice Bauzile, Sorel Jacinthe, etc.

[4] Dans le contexte des mouvements de protestation contre le gouvernement de facto d’Ariel Henry et l’augmentation des prix des produits pétroliers, il a laissé entendre que « ce ne sont pas des mouvements politiques, ce sont des gangs malheureusement infiltrés aussi par des gens liés aux pouvoirs économique et politique ». Des propos susceptibles de discréditer la lutte du peuple haïtien pour de meilleures conditions de vie.

[5] Il a soutenu que le retour des Casques bleus de l’Organisation des Nations unies (ONU) ainsi que la rédaction d’une nouvelle Constitution s’avèrent nécessaires en Haïti dans ce contexte de crise.

[6] Parlant des manifestations populaires, il a déclaré qu’elles sont « financées par des acteurs économiques qui risquent de perdre de l’argent ». « Ce sont des gens qui souvent ne vivent même pas en Haïti, qui ont des manoirs dans différentes parties du monde, et qui paient pour que les gens aillent dans les rues ».

[7] Par exemple, l’implication de l’OEA dans les opérations électorales frauduleuses de 2010 ou le soutien indécent du gouvernement américain à l’ex-président Jovenel Moïse jusqu’à son assassinat le 7 juillet 2021.

[8] Le caractère gras est de nous.

[9] C’était lors de la séance de renouvellement du mandat du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), le vendredi 15 juillet 2022.

[10] Nous disons collaboration parce qu’Ariel Henry n’est qu’un pantin auquel le Core Group a remis le pouvoir politique en vue d’exécuter ses ordres. D’où, le fait pour Ariel Henry de demander l’envoi d’une force militaire en Haïti, est, à notre avis, une solidarité exprimée à l’endroit de cette institution afin qu’elle réalise son agenda dans le pays.

[11] Au mois de juin 2022, Ariel Henry, nommé premier ministre d’Haïti par le Core Group, a été invité par l’administration de Joe Biden au Sommet des Amériques à Los Angeles. Tandis que Cuba, Nicaragua et le Venezuela dont les dirigeants ont reçu leur mandat par la voie des urnes ont vu leur participation refusée. Après avoir été accueilli par le président des Etats-Unis, Joe Biden, Ariel Henry a multiplié des rencontres bilatérales avec des responsables de la région et a participé à une réunion avec les dirigeants de cinq (15) pays de l’espace Caraïbe présidée par la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris. Il a pu rencontrer l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield ; le secrétaire d’État adjoint aux Affaires de l’Hémisphère occidental, Brian Nichols ; l’ancien président de la Banque interaméricaine de développement (BID), M. Mauricio Claver-Carone et le Secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro. Vu les positions clairement exprimées par ces acteurs sur la crise en Haïti (nous en avons déjà relaté plusieurs dans ce travail), il est évident que ces rencontres visent à supporter et légitimer ce gouvernement de facto dans le pays.

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roodaffair@gmail.com