Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL)

Economie, Publications

Ouvrage collectif : « Global Partnerships and Neocolonialism »

L’Institut culturel Karl Lévêque (ICKL) vous invite à lire l’ouvrage collectif Global Partnerships and Neocolonialism publié sous la direction Aram Ziai, Praveen Jha et Jule Lümmen. Cet ouvrage est publié dans le cadre du Global Partnership Network (GPN) et propose une série de réflexions co-construites par les membres de ce réseau international de recherche, de formation et de plaidoyer.

Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL) invites you to read the collective work Global Partnerships and Neocolonialism, edited by Aram Ziai, Praveen Jha, and Jule Lümmen. Published as part of the Global Partnership Network (GPN), this book offers a series of reflections co-constructed by members of this international research, training, and advocacy network.

PDF 978-3-031-87005-7

Economie, Publications

International “Development” Cooperation and Social Change from Below. Challenges to the Viability of a Social and Solidarity Economy in Haiti 2010–2020

L’Institut culturel Karl Lévêque (ICKL) vous invite à lire le quatrième chapitre de l’ouvrage collectif Global Partnerships and Neocolonialism. Ce chapitre intitulé « International “Development” Cooperation and Social Change from Below. Challenges to the Viability of a Social and Solidarity Economy in Haiti 2010–2020 » est co-écrit par Képler Aurélien et Marc-Arthur Fils-Aimé. Il examine les défis auxquels est confrontée l’économie sociale et solidaire en Haïti dans un contexte macroéconomique délétère largement façonné par la coopération internationale au « développement ». Il mobilise des sources documentaires et des données recueillies dans le cadre des éditions 2017, 2018 et 2019 d’une université populaire co-organisée par ICKL.

Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL) invites you to read the fourth chapter of the collective work Global Partnerships and Neocolonialism. This chapter, entitled “International ‘Development’ Cooperation and Social Change from Below. Challenges to the Viability of a Social and Solidarity Economy in Haiti 2010–2020”,  is co-authored by Képler Aurélien and Marc-Arthur Fils-Aimé. It examines the challenges facing the Social and Solidarity Economy in Haiti in a harmful macroeconomic context largely shaped by international “development” cooperation. It draws on documentary sources and data collected during the 2017, 2018, and 2019 editions of a popular university co-organized by ICKL.

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Economie, Idées & Opinions

Haiti – Agriculture : Un programme cohérent, sans lendemain, comme tant d’autres
Par Marc-Arthur Fils-Aimé
Image : Agrisud International

Cet article a été initialement publié dans AlterPresse, le 6 juillet 2025, et est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur.

Nous sommes loin de faire une liste exhaustive des plans, des programmes politiques conçus et présentés par nos intellectuel-le-s, nos politicien-ne-s, nos chercheur(se) s en vue de lancer l’État-Nation d’Haïti sur la route du progrès, d’un progrès qui répondrait aux besoins essentiels de tous ses habitants. Les tentatives de penser Haïti autrement, d’orientations politiques et idéologiques souvent opposées les unes aux autres, ne datent pas d’hier et ont constamment marqué l’histoire politique nationale. Nous n’avons pas en notre connaissance de véritables manifestes des généraux/ grands dons qui se bousculaient au pouvoir avant l’odieux débarquement yankee de juillet 1915. Les deux ailes mulâtre et noire de la classe des compradores et de l’oligarchie jouaient la carte de la question de couleur pour promouvoir leurs ambitions politiques en entraînant les masses dans la confusion la plus totale. Le mot d’ordre d’Acau « un Nègre riche est un Mulâtre, un Mulâtre pauvre est un Nègre » n’a nullement modifié jusqu’à aujourd’hui le discours de la classe politicienne.   Mais, on est apte à se souvenir, par exemple, de la violence armée, sans merci, entre le Parti Libéral durant la décennie de 1860 avec les Edmond Paul, Boyer Bazelais, Demesvar Delorme, Anténor Firmin et le Parti National sous le leadership de l’ancien président Lysius Félicité Salomon, soutenu par tant d’autres politiciens et femmes ou hommes de lettres tel que Louis Joseph Janvier. L’on se rappelle, plus près de nous, les discours mystificateurs de François Duvalier ; ceux de Pain de Louis Déjoie ; le programme du ‘’Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes’’ (RDNP) avec son principal leader Leslie Manigat ; celui du ‘’Mouvement pour l’Instauration de la Démocratie en Haïti ‘’(MIDH) de Marc Bazin.  La plupart de ces programmes s’apparentent davantage à des slogans : « Le plus grand bien au plus grand nombre du Parti National » ; « le pouvoir aux plus capables » du Parti libéral ; « La réconciliation des deux élites » de François Duvalier ; « La politique de la terre. La seule. La vraie » de Louis Déjoie » ; « La chance qui passe de Lavalas d’Aristide » ; « Nèg bannann nan de Jovenel Moïse du Parti Tèt Kale Haïtien » (PHTK). Parfois, ils sont conçus sous forme de considérations philosophiques ou de simples prises de positions idéologiques ou même anthropologiques au lieu de lignes d’actions politiques. Que dire de l’orientation de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) dirigée durant ses premières années par Gérard Pierre-Charles qui était un personnage emblématique de la gauche révolutionnaire haïtienne et qui aujourd’hui a carrément chuté dans la droite de la sociale- démocratie ?

La gauche progressiste et révolutionnaire n’a jamais pu parvenir, pour des raisons diverses, à s’inscrire de manière décisive dans l’optique du changement profond manifestée par les masses populaires dans de diverses conjonctures de batailles qui parfois ont secoué assez fort les assises du système.’’ L’analyse schématique 1932-1934’’ de Jaques Roumain et de ses camarades, qui visait à allier pour la première fois dans notre histoire le mouvement communiste aux luttes des masses populaires contre ce système qui les ploie sous le poids de la surexploitation par la classe des compradores, de l’oligarchie et des pays impérialistes depuis sa libération du joug esclavagiste, raciste, colonialiste, n’a pas eu le temps d’arriver jusqu`à ses véritables destinataires. Le ‘’Manifeste du Parti d’Entente Populaire ‘’(PEP) présenté par Jacques Stephen Alexis n’as pas connu un meilleur sort. La perspective socialiste de changement radical du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (PUCH) qui avait entamé une guérilla vers la fin de la décennie 1960 sous la dictature féroce de François Duvalier, ou celle d’autres mouvements révolutionnaires comme’’ EN Avant’’, ou le Parti des Travailleurs Haïtiens (PTA) n’ont pas eu le bonheur de fondre dans les masses comme poisson dans l’eau. Pour une large opinion critique, les causes de l’échec ont dû à la complicité de la CIA et de la répression sans limite de la dictature duvaliériste mais aussi aux erreurs tactiques et stratégiques de ces partis et organisations révolutionnaires. Mais ces dernières ne constituaient-elles pas les obstacles déterminants à leur implantation dans les masses populaires et à leur réussite ? Car, que d’organisations révolutionnaires ont su conduire jusqu’à la victoire leurs luttes de libération tout en ayant été aux prises avec des régimes tortionnaires !

Cela signifie qu’en bien des moments ou des circonstances, le souci d’offrir au pays une certaine alternative ou une autre voie au spectacle gangrené d’aujourd’hui a été toujours présent.  Certaines propositions sont l’œuvre d’intellectuel –le -s, de chercheur-e-s, d’acteurs-trice-s impliqué-e-s directement dans l’action politique et dans une large mesure des partis politiques qui briguent des postes électoraux comme c’est déjà évoqué plus haut ou qui convoitent la prise du pouvoir par des moyens plus radicaux.

Nous voulons cette fois jeter notre dévolu sur une conférence prononcée au mois de décembre 1923- la date exacte n’est pas précisée dans le texte- par Dantès Bellegarde, intitulée « Une politique de la production ». La conférence s’est trouvée dans un ensemble d’autres que l’auteur a publié dans un format de livre sous le titre‘’ Un Haïtien Parle’’.  Il s’adressait à’’ l’Association Internationale des Hommes d’Affaires d’Haïti’’. Dans cet ouvrage qui est une publication des différentes interventions faites par Bellegarde soit en Haït ou en des scènes internationales, nous lègue un véritable plaidoyer pour notre agriculture avec un parti pris sans relâche pour la classe de la petite paysannerie

Pourquoi le choix de ce texte ? 

Cet article a retenu notre attention parce qu’il a proposé des solutions qui ne sont pas exclusivement du ressort d’une révolution socialiste mais plutôt qui font partie intégrante de tout régime d’une république démocratique bourgeoise. Les problèmes qu’il a soulevés sont concomitants avec la naissance de notre République. D’ailleurs, l’auditoire auquel l’orateur s’était adressé se veut un signe de sa sensibilité idéologique. La simplicité des arguments énoncés et les solutions proposées qui ne dépassent pas les moyens de tout pouvoir soucieux d’un certain mieux-vivre de son peuple, ont concouru aussi à nous inspirer à faire cette réflexion.

L’article de Dantès Bellegarde, ce politicien souvent en porte-à-faux avec le gouvernement collaborateur de la puissance occupante dirigé par Philippe Sudre Dartiguenave a touché dans une large mesure les quelques maux qui empoisonnent la bonne marche du pays.

Dantès Bellegarde était une personnalité politique importante dès le début de l’occupation de l’impérialisme étasunien. Il faisait partie du cabinet de Sudre Daritiguenave du 19 décembre 1918 au 25 janvier 1921 comme Secrétaire d’État de l’Instruction publique. Il était reconnu pour son hostilité à l‘invasion yankee. Dans un élan de patriotisme éclairé, il avait voulu alerter le pouvoir auquel il participait en lui suggérant une série de mesures, susceptibles de relancer l’économie nationale avec un accent porté surtout sur l’agriculture. Mais, jusqu’à présent, aucun gouvernement n’en a daigné adopter des mesures idoines, même ceux qui ont étiqueté haut et fort ‘révolutionnaire’’ leur façon d’atteindre le pouvoir. Si les principaux dirigeants du pays ne se sont jamais embarrassé à galvauder ce vocable, c’est pour se protéger et maintenir le statu quo sans vraiment se soucier du progrès de la majorité. Les intellectuels de 1843- les Hérard Dumesle, les David St Preux, les Rivière Hérard- liés aux grands propriétaires fonciers – dans leur volonté d’éjecter Boyer de la chaise présidentielle, ont été les premiers à détourner le concept ‘’révolution’’ pour, une fois atteindre leur objectif, reconduire la politique de leur grande victime en se conduisant en de véritables prédateurs du pouvoir public.

De cette date à aujourd’hui, Haïti, au sein du monde entier, a aussi évolué. On ne saurait aborder la formation sociale haïtienne avec le même regard du début du vingtième siècle en dépit de l’insistance de la nature de ses classes et fractions de classes sociales. Ainsi, des problèmes existentiels qui ont apparu dès les premiers jours en tant qu’État-Nation demeurent-ils et attendent-ils encore des solutions souvent urgentes. Seulement, Il faut, pour les résoudre, des méthodes compatibles aux exigences techniques et scientifiques actuelles d’après le niveau de développement socio-culturel et intellectuel de toute la population.

Le domaine de l’agriculture qui constituait le fond de toute la conférence de Bellegarde était, d’après lui, celui qui pourrait contribuer à une dynamisation de la situation socio-économique du pays qui projetait un aspect sclérosé ; une dynamisation qui aurait sans doute son influence sur tous les autres paramètres qui configuraient l’ossature de la vie nationale. Son programme avait été rejeté par les occupants et ses suppôts locaux sans aucune forme de procès. Une attitude qui lui demeurait indigestible d’après une de ses déclarations au cours de son intervention.

Cependant, les éléments qu’il avait soulignés n’ont rien perdu de leur actualité parce que ces cris n’ont jamais été entendus par aucun des gouvernements qui ont présidé au destin du pays et qui se sont comportés et qui se comportent encore de nos jours en de relais de Washington même après que celui-ci eût enlevé ses bottes en août 1934. C’est à tort que l’on fait de cette date la fin de l’occupation.

Pour réaliser notre travail, nous avons relevé certains des principaux axes que ce politicien, intellectuel qui a servi la nation tant à l’intérieur que dans diverses missions à l’extérieur, a considérés comme déterminants dans sa quête pour une économie vivante et susceptibles de répondre aux ambitions de progrès, de liberté, d’indépendance que caressaient nos héroïnes et héros. Comment arriver à maintenir allumé le flambeau de ces ambitions ? En fait, l’agriculture a été considérée comme l’un de ces véhicules, d’après Bellegarde, propices à atteindre cet objectif. C’est ce qu’il a formulé dans le sous-titre de sa prise de position : « UN programme d’action agricole ».

L’agriculture

L’agriculture est la base de la vie nationale : c’est une vérité que l’on a souvent proclamée mais à laquelle on n’a jamais donné, dans la pratique, une attention suffisante. Et cependant le mouvement économique et commercial d’Haïti est étroitement lié à sa production agricole et plus que jamais s’imposent à nous, de manière pressante, les mesures efficaces qui doivent assurer le développement de notre agriculture… En ce domaine, comme en tout autre d’ailleurs, il faut savoir exactement ce que l’on veut et où l’on va, en plaçant son point de départ sur le terrain solide des réalités haïtiennes.

  1. Bellegarde restait encore attaché à l’axiome appris autrefois dans les livres scolaires : « Haïti est un pays à vocation agricole ». Et, il a déployé durant toute sa conférence des efforts pour vérifier cet axiome.

L’agriculture pour être efficace a besoin d’une ligne politique pluridimensionnelle. D’abord, il lui faut parmi les préalables :

  1. La garantie au travailleur du sol. Car :

Avec la sécurité enfin garantie au travailleur du sol et la conviction acquise que la paix est maintenant solidement établie en Haïti, nous aurions pu nous attendre, au point de vue de la production et de l’exportation, à des résultats infiniment supérieurs à ceux des années les plus troublées de notre histoire. Il n’en est malheureusement rien.  Haïti continue à marquer le pas ou même à reculer pendant que les pays qui l’environnent augmentent d’une façon formidable leur production. L’exemple le plus typique est celui du café, notre culture fondamentale et la source principale de nos revenus.[1]

Ce « malheureusement rien » n’a pas perdu sa force cent-deux ans après son énonciation. L’insécurité foncière plutôt d’être résolue par les divers pouvoirs, a toujours été encouragée par eux, souvent pour favoriser leurs clans comme gage de leurs promesses électorales ou tout simplement pour soutenir la corruption et l’impunité comme deux véritables soupapes du système. Dans l’extrait de ce paragraphe, Bellegarde a soulevé plusieurs autres points et indiqué plusieurs pistes de solution. Par exemple, que signifiait pour lui, la notion de « la sécurité enfin garantie au travailleur du sol et la conviction acquise que la paix est maintenant solidement établie en Haïti » ? Ces deux membres de la même phrase ne s’arrêtent pas à un simple slogan de politicien opportuniste. Loin de là.  Ils ont visé la racine du problème de la propriété du sol qui a été déjà posée depuis l’époque de l’empereur Jean- Jacques Dessalines, c’est-à-dire depuis vers les années 1804.

Bellegarde a cru « que nous devons penser à un ensemble de mesures propres à conserver ou à reconstituer notre domaine forestier ». Depuis Toussaint Louverture, les différents gouvernements d’après lui ont toujours cru en la vertu de la grande propriété. C’est cette vision bi-séculaire qui a toujours emmené les petit(te)s propriétaires dans les valises voraces des femmes et des hommes de loi :

Jusqu’à présent, l’État n’a tiré de ses terres aucun avantage réel. Il devrait en faire un usage plus profitable à l’agriculture et au fisc, soit en les exploitant directement par ses fermes modèles, soit en examinant les conditions dans lesquelles des concessions pourraient être faites à des familles d’agriculteurs, haïtiens ou étrangers, s’engageant à se consacrer à telles cultures ou à telles industries agricoles déterminées.

Également, une législation nouvelle devrait être édictée pour favoriser la propriété rurale, tout en empêchant le morcellement excessif des terres, conséquence du régime successoral institué par le Code civil[2]

Alain Turnier, quelques années après, n’a pas eu une approche différente. Il a cru à la nécessité comme Bellegarde de garantir la propriété de la petite paysannerie qui était en butte à toutes sortes d’abus de la part de gens malhonnêtes.

Le métayage subsista à côté de la petite exploitation indépendante, a décrit Alain Turnier. Le sort du paysan ne fut guère amélioré. Cette force primitive, et ignorante de sa puissance, rivée à la terre et principale pourvoyeuse économique de la nation par sa production et sa contribution fiscale, continuera à être exploitée par le citadin qui, responsable du destin politique de la nation, orienta l’administration publique à son avantage. L’avocat, l’arpenteur, le commerçant, le spéculateur en denrées, le bailleur de fonds, essayèrent de vivre aux dépens du campagnard. [3] 

Alain Turnier a agité un autre problème crucial relatif à l’état civil de la plupart de nos compatriotes toujours dans cette même perspective de garantie foncière. Il régnait dans les milieux populaires une coutume de donner comme patronyme le prénom du père ou de la mère ou d’un membre de la famille qui s’est signalé au cours des ans d’une façon ou d’une autre. Nous ne savons même pas si avec l’évolution du temps cette coutume venue de quelques parties de l’Afrique existe encore. Nous ignorons si tous les parents haïtiens s’accordent de nos jours sur ce point aux prescrits de notre Code civil.  Nous savons bien que ce Code qui est une plate copie du Code civil français nous a été transféré sous la présidence de Jean-Pierre Boyer au mépris de certaines de nos habitudes parfois plus que séculaires. Ce que l’on se plaît à classer dans la rubrique de « droit informel ». Avec les yeux plongés dans ce manuel de loi barricadé dans des formules procédurales désuètes et très difficiles à décortiquer, les membres du sérail, comme l’a dit M. Turnier, ont piétiné, parmi tant d’autres, ce signe de reconnaissance de nos compatriotes envers un parent méritoire pour les dépouiller. Alain Turnier, nous a rappelé que :

En général le paysan reçoit comme patronyme le prénom de son père s’il est un garçon, et celui de la mère s’il est une fille ; parfois celui d’un grand parent qui s’est distingué dans la vie et dont on espère qu’il perpétuera les mérites. Dans le milieu rural, il existe une confusion entre le prénom et le nom patronyme. Celui-ci finit par se perdre Comme la filiation est une question de nom et s’établit par les actes de l’État civil, le partage successoral entraîne confusion et conflit que l’avocat ne manque pas d’exploiter.

Mais à la campagne, toujours d’après M. Turnier, le patronyme est généralement le prénom du père de famille, coutume déjà signalée comme étant à la base des confusions enregistrées dans les actes de l’État civil et des difficultés du partage successoral, appelée à disparaître sous l’influence de l’alphabétisation, mais qui existe en force jusqu’à des temps récents. [4]

Léon-François Hoffman a fait la même constatation dans sa recension de ‘’ Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain en signalant que :

Si le fils de Bienaimé Délivrance a Jean-Joseph pour nom de famille, c’est que dans les campagnes haïtiennes, le nouveau-né reçoit non seulement un prénom mais un patronyme, souvent celui d’un parent ou d’une personne que l’on désire honorer. Manuel a reçu celui de son grand-père, ‘’défunt Josaphat Jean-Joseph, le père de Bienaimé[5]

La garantie de la propriété ne suffit pas. Elle mérite d ‘être accompagnée ‘’ avance M. Bellegarde par:

La garantie de la propriété ne suffit pas. Elle mérite d ‘être accompagnée ‘’ avance M. Bellegarde par:

  1. L’instruction primaire :

De la propagation de l’instruction primaire- qui- est aussi l’une des conditions les plus indispensables du développement économique. Le paysan instruit a plus de besoins : il produit mieux pour pouvoir consommer davantage. C’est une obligation impérieuse de l’État de rendre cette propagation-là plus large possible en multipliant les écoles rurales et en y plaçant des instituteurs bien préparés et bien payés.[6]

Dans d’autres occasions, Bellegarde a développé tout un programme relatif à l’instruction publique notamment dans un projet de loi présenté au Conseil d’État et publié dans le Moniteur du 12 mai 1920, ayant pour sujet « Recrutement et Rétribution des Instituteurs » et un discours au Conseil d’État, paru dans le Moniteur du 31 janvier 1920 avec pour titre « La Commune et l’’Ecole «. Nous avons extrait de ce dernier les phrases suivantes :

Non, il n’y a pas de dépense qui soit plus impérieuse que la dette d’instruction contractée envers le peuple. C’est parce que trop longtemps a prévalu dans l’esprit des Haïtiens l’opinion contre laquelle je m’élève que les paysans, pourvoyeurs de nos budgets, croupissent dans une si noire ignorance. »

Nous n’avons pas assez compris qu’il fallait donner à ce peuple, par une instruction largement répandue, les moyens de s’élever dans la lumière et de conquérir son indépendance économique. Et parce que nous avons cru qu’il y avait d’autres tâches plus urgentes que celle- là, nous avons laissé se perpétuer en ce pays un état de misère matérielle et intellectuelle, dont c’est aujourd’hui notre devoir le plus impérieux de sortir à bref délai.»[7]

  1. Le crédit

Que ces banques puissent accorder à la grande propriété les fonds dont elle a besoin pour faire ses frais de premier établissement, pour opérer les améliorations foncières ou les transformations du capital d’exploitation reconnues nécessaires, pour payer les spécialistes étrangers qu’il lui paraîtrait utile d’engager, rien de mieux. Mais il ne faut pas seulement voir les gros exploitants qui, ayant presque toujours du répondant, peuvent aisément trouver à emprunter des particuliers ou de n’importe quel établissement commercial, mais encore et surtout la masse des petits propriétaires qui, par suite du caractère foncier des prêts consentis, se verraient trop souvent acculés à l’expropriation forcée, c’est-à-dire à la ruine. 

 À côté des propriétaires, il y a les fermiers, les métayers, les ouvriers agricoles locataires d’un lopin de terre : eux aussi ont besoin d’argent. Que donneront- ils en garantie ? Les uns pourront constituer en gage leur matériel d’exploitation, leurs animaux, les récoltes présentes ou futures; les autres n’auront à offrir que des garanties personnelles. ( souligné par moi).[8]

Le crédit agricole ne doit pas être accordé à la première demanderesse, au premier demandeur. Les études de cas seront à étudier minutieusement pour contrarier les démarches trompeuses des arnaqueurs. Bellegarde en a fait la mise en garde suivante dans une note de bas de page :

Il est important de faire observer que le crédit agricole consiste à prêter de l’argent non aux agriculteurs mais à l’agriculture. Nous voulons dire par là que ce qui donne à cette forme de crédit son caractère spécial, ce n’est pas tant la personne qui en bénéficie que l’objet auquel il s’applique, c’est-à-dire le travail de la terre. Les banques qui prêtent de l’argent, même à des agriculteurs, sans s’intéresser à l’emploi qui en est fait, ne doivent pas strictement être appelées agricoles.[9]

Bellegarde a précisé avec force les liens qui existent ente l’instruction professionnelle et le crédit agricole quand il a écrit :

L’instruction professionnelle et le crédit agricole sont deux questions intimement liées. Faire des avances aux agriculteurs, c’est bien. Mais cela ne suffit pas : il faut être sûr qu’ils sauront utilement les employer. »[10]

Pour suppléer aux exigences des banques commerciales enrobées généralement de mépris et de préjugé à l’encontre de la paysannerie pauvre, l’auteur a proposé de’’ « reposer le crédit agricole sur la mutualité ». Cependant :

Les associés ne reçoivent aucun dividende, ou ne reçoivent qu’un dividende aussi minime que le permet la loi du pays.

Les associés sont responsables des opérations de la caisse sans limitation.

La caisse ne prête qu’à ses membres, en tenant compte de leur moralité et de leur solvabilité.

Cette règle permet aussi de limiter les prêts faits aux cultivateurs appartenant à la société : ainsi se trouve écarté l’un des plus gros inconvénients du crédit agricole, qui peut être ruineux, constate M. Colson, s’il sert à étendre les opérations d’un entrepreneur de culture au-delà de leur force. 

Nous devons reconnaître que ces principes sont d’application difficile en Haïti à cause de l’état intellectuel de nos paysans. On pourrait peut-être trouver dans le ‘’ coumbite’’ qui est une forme primitive de coopérative, une base pour l‘établissement des caisses Raiffeisen. Mais il faudrait qu’une telle entreprise pût s’appuyer sur une organisation rurale qui n’existe pas encore et que j’essayai de créer en 1918, on sait avec quel insuccès par suite de l’opposition systématique des autorités américaines  [11]

C’est pour la deuxième fois dans le même texte que Bellegarde a mentionné le « refus des autorités américaines » pour entreprendre un programme qui ne concerne que l’avenir du pays. Aujourd’hui encore, cette ingérence s’est illustrée effrontément. Ces autorités abusent de toutes leurs forces et de toute leur capacité de nuisance en allant loin au-delà des limites qu’aucun pouvoir souverain national n’aurait dû accepter.

Il a suggéré dans une note de bas de page que :

« L’État pourrait constituer une Caisse de l’Agriculture qui ferait des avances à des sociétés, à solidarité illimitée, créées dans ces conditions »[12]

« L’institution du petit crédit rural est l’un des problèmes qui devraient arrêter le plus sérieusement l’attention du gouvernement. Il lui faudra étudier un système- assez simple pour être compris de tout le monde, assez simple pour s’adapter aux mœurs et habitudes du peuple—qui amène graduellement les paysans à prendre confiance en eux-mêmes, à renoncer peu à peu à la thésaurisation, à comprendre le bénéfice nécessaire qu’ils retireront de l’emploi productif des économies qu’ils accumulent dans leurs cachettes, sans profit pour eux-mêmes et au détriment de la production nationale. »[13]

On a souvent l’habitude de montrer qu’à cause de l’absence du cadastre, il s’avère difficile de remanier la structure de la propriété agraire dans le pays. M. Bellegarde a abordé cet écueil en se demandant s’il faut rester inactif face au besoin urgent de l’amélioration de notre agriculture.

« Toutes les fois que nous parlons de crédit agricole en Haïti, on nous répond que l’absence d’un cadastre rend impossible cette organisation. Quand donc aurons-nous ce fameux cadastre ? Et en attendant qu’il soit enfin dressé, ne ferons-nous rien d’effectif et d’efficace pour le progrès de notre agriculture ?[14]

  1. L’élevage

Ainsi, saisissons-nous l’élevage pour une raison bien pratique. Car, il a toujours apparu comme une branche contiguë à l’agriculture en dépit de ses caractéristiques propres. Ce qui donne surtout à l’élevage industriel sa grande autonomie par rapport à l’agriculture contrairement aux habitudes de la paysannerie haïtienne qui a toujours tissé un lien très étroit entre les deux. Pour le petit paysan, ils se complètent l’une l’autre. C’est d’ailleurs, dans la rubrique agricole que l’orateur a introduit l’élevage sous le sous-titre « Nos ressources agricoles ».

Pour ce faire, il a cité une recherche d’:

« Un économiste français, M. Daniel Bellet, (qui) dans un livre remarquable consacré aux Grandes Antilles, a fait une sorte de recensement des ressources agricoles d’Haïti. »

« Haïti est particulièrement bien dotée par la nature, et en jetant un coup d’œil sur ses produits végétaux et animaux, on se rend compte de tout ce que l’on y pourrait y faire, et du peu de parti que l’on tire actuellement de ces ressources. »

« L’élevage des animaux domestiques est entièrement négligé dans l’Île, et les trois quarts au moins de la viande consommée dans le pays proviennent de la République Dominicaine, où l’on néglige moins les ressources à tirer de l’agriculture. »  [15]

Il y a une remarque qui saute aux yeux. On a pu observer déjà notre dépendance envers la République voisine par rapport à notre consommation de la viande.

Parmi toutes les recommandations de l’agronome français citées par Bellegarde, nous retenons le paragraphe relatif à notre porc créole. Cet animal était une force de notre cheptel avant son élimination sur demande des États-Unis d’Amérique, sous la dictature de Jean-Claude Duvalier. Le cochon créole, constituait aussi ce que l’on se plaisait à décrire comme le compte en banque des petits propriétaires paysans. Cette imposition impérialiste qui a passé sous les fourches caudines, entre autres, le marché de la viande, avait révolté le peuple haïtien qui se trouvait, vu l’improvisation de cette décision antipopulaire, incapable d’y offrir toute résistance. Même les macoutes qui comptaient parmi les victimes de cette destruction, se croyaient ou se trouvaient obligés d’obéir à cet ordre.

  1. Bellet a compris que :

Ce qui domine en effet dans ces industries pastorales telles que se présentent en Haïti, c’est que le manque d’initiative et de soins se manifeste de façon la plus déplorable. Pour le porc même, on l’a laissé revenir à l’état sauvage et il offre un aspect curieux, maigre et allongé, ne rappelant que fort loin les porcs que nous voyons nourrir dans les étables pour l’engraissement, et cependant cette viande de porc est consommée en grande quantité. Il semblerait que l’effectif du bétail ait tendance à diminuer en Haïti, ce qui est tristement caractéristique, étant donnés les terrains immenses qui restent sans utilisation.

C’est cette physionomie « maigre et allongée » qui avait valu à notre race porcine l’appellation’’ cochon planche’’, et son appréciation pour la qualité de sa chair et de son goût

Bellegarde ne s’était pas confiné dans la production agricole à son sens stricte. Il avait tenu compte des logiques économiques associées à l’agriculture telle que la monoculture et sa trop grande dépendance à l’égard de la fluctuation du marché international. Il voulait bousculer une certaine tendance paresseuse et traditionnelle qui étouffait l’exploitation de la richesse de nos terres arables et nous débarrasser des étreintes néocoloniales même s’il n’avait pas évoqué ce vocabulaire un peu trop radical pour plus d’un. Ainsi rejetait-il la monoculture

  1. Son refus de la monoculture

Bellegarde a dénoncé notre tradition envers la monoculture comme le café et l’exiguïté de notre partenariat commercial international avec principalement deux grandes puissances internationales. Dans un sous- titre du texte dénommé ‘’ Les angoisses de 1917’’-, il a dit que 1917 est connu comme la troisième année de la première guerre mondiale. Guerre dite mondiale, – disons-nous- même si elle ne mettait aux prises que quelques puissances occidentales dans leur volonté impérialiste de conquête de plus de pays des continents africain et asiatique.

 L’Allemagne ayant affirmé sa volonté inébranlable de poursuivre’’ sans discrimination’’ la guerre sous-marine, il en résulta entre elle et les Etats-Unis une situation extrêmement tendue, qui aboutit le 3 avril 1917à la rupture des relations diplomatiques et, le 4 avril suivant, à une formelle déclaration de guerre du gouvernement de Washington. Ces évènements eurent une fâcheuse répercussion sur les affaires de notre pays, dont toute l’activité commerciale est étroitement liée à celle de la France pour ses exportations et à celle des États-Unis pour ses importations.

Il a saisi l’exemple de la fluctuation du prix du café sur le marché international pour dénoncer les méfaits de la monoculture et notre dépendance envers les États-Unis pour la plus grande partie de notre importation.

« L’exportation du café haïtien tomba ainsi, du chiffre de 40.742.263 kilos en 1913-1914, à 22.531.177 en 1915-1916 et à 23.617.963 en 1916-1917. »[16]

Mais il nous faut nous rappeler, dit-il, que rien n’est moins stable que la tenue du café sur le marché mondial ; que cette denrée, sur laquelle nous faisons reposer toute l’assiette économique et financière d’Haïti, subit l’énorme concurrence de pays producteurs plus puissamment organisés que nous. C’est notre intérêt, sans négliger le café qui restera un élément essentiel de notre activité commerciale, de diversifier nos cultures afin de pouvoir, par la variété de nos produits, supporter sans péril les dépréciations qui peuvent affecter l’un d’entre eux. [17]

Il a, dans un autre moment, dans son discours rejeté avec plus de force la monoculture avec ces propos :

 « Haïti n’était pas belligérante, et elle dépendait presque entièrement pour son alimentation des Etats-Unis. Un matin, le bruit courut que la Compagnie Hollandaise allait- elle-même cesser son trafic, – ses bateaux ayant été saisis dans le port de New-York. Cette rupture probable de nos relations commerciales avec notre principal fournisseur jeta l’éprouvante dans nos familles. C’était comme si l’on se proposait de couper le cordon ombilical d’un fœtus avant qu’il fût constitué pour vivre de sa propre vie. »

« La leçon de notre imprévoyance était là, vivante, patente, tragique. Nulle occasion ne pouvait donc être meilleure pour montrer les défauts de la structure économique d’Haïti. Je résolus de la saisir et d’en faire la base d’une démonstration qui devait tirer toute sa force d’une réalité obsédante : la crainte de la famine. Je lançai un rappel à la population de Port-au-Prince. Et, à Parisiana, devant un public frémissant, je rendis évident, par des faits, des chiffres, des statistiques douanières, le péril qui menaçait Haïti dans son commerce extérieur comme dans l’existence de ses habitants. Je proclamai avec force que ce danger venait de notre dépendance économique presque absolue vis-à-vis de l’étranger : d’abord par notre système de monoculture, qui assujettissait toute la vie commerciale du pays aux fluctuations sur le marché extérieur d’une seule denrée- denrée de luxe ; ensuite par l’insuffisance de la production locale, qui mettait notre approvisionnement en substances alimentaires à la merci d’une crise ou d’un conflit international. N’était-il pas scandaleux que nous fussions obligés bon an mal an d’importer … Si ces 5 à 6 millions de dollars dépensés annuellement pour l’achat à l’étranger de substances alimentaires- que nous pouvons produire nous-mêmes dans des conditions avantageuses- étaient versés dans l’agriculture et l’industrie locales, quel sang généreux n’apporteraient-ils pas dans notre circulation économique ? »[18]

Nous devons tenir compte de ses considérations en faveur de la petite propriété.

Toutes les appréhensions, tous les soucis de Bellegarde ont montré son grand intérêt pour la petite propriété qui a toujours été combattue par certains des courants politiques et idéologiques divers et qui, de nos jours, subit des attaques tous azimuts au niveau mondial de la part des néolibéraux contre lesquelles la Via campesina mène une lutte assidue au niveau mondial. Veronika Bennholdt-Thomsen s’est posé les questions suivantes auxquelles elle a pris la peine aussi de répondre :

« Qui considère comme paysanne et quelle est son activité ? Cette question est-elle encore pertinente à notre époque ? L’économie paysanne existe-elle encore aujourd’hui et quel est l’avenir de la peasant economy (économie paysanne) ? »

« Voici ce que nous apprend l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture(FAO) à l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation en 2014 »

« 90% des 570 millions de fermes dans le monde sont des exploitations familiales qui constituent donc le modèle dominant de l’agriculture. Elles produisent 80% de tous les aliments consommés dans le monde.  La grande majorité des fermes sont de petite taille : si 72% des exploitations familiales disposent de moins d’un hectare de terre, elles ne contrôlent que 8% de la surface agricole mondiale. Si 12 % d’entre elles cultivent entre un et deux hectares, cela ne représente que 4% de la surface agricole mondiale.  En moyenne, 1% de toutes les exploitations disposent de plus de 50 hectares, en contrôlant les deux tiers de la surface agricole utilisée. Selon le rapport, les petits exploitants produisent plus de nourriture par rapport à la surface qu’ils cultivent, car ils obtiennent des rendements plus élevés que les grandes exploitations. [19]

Il n’est pas de notre dessein de couvrir l’ensemble des suggestions de Bellegarde. Ni d’en présenter un tableau synoptique. Nous prenons deux autres domaines que Bellegarde a développés, pour fermer notre dossier, même si, la petite industrie, les routes, l’exportation de nos ressources comme le cacao n’en demeurent pas moins importants dans cette évocation. Pour conclure, donc, notre essai, nous extrayons deux autres sous-titres de son long plaidoyer. Le premier ‘’la mer’’ due à sa richesse potentielle et le deuxième ‘’ l’émigration’’ pour la place qu’elle détient aujourd’hui dans notre quotidien

  1. ‘’ La Mer : source de richesses’’

L’halieutique est sans doute un bras fortement annexé à l’agriculture comme l’élevage notamment l’est à l’agriculture de la petite paysannerie. Parfois, certaines couches sociales, celles qui habitent près du littoral, cultivent leur lopin de terre et pratiquent en même temps la pêche. Les deux activités pour elles se complètent l’une l’autre et contribuent à la soudure des saisons, nécessaire à la survie de la classe de la petite paysannerie. Elles leur permettent de suppléer la saison agricole au moment de la préparation et de la plantation par la pêche qui connaît elle aussi des moments où la mer n’offre plus la même abondance. Bellegarde a cru que l’aménagement de la filière de la pêche améliorerait de beaucoup non seulement la diète quotidienne du peuple, mais soulagerait aussi, grâce à une diminution de son importation, l’économie nationale qui accuse chaque année un déséquilibre de la balance commerciale. Il n’y a aucun doute que la diminution de cette hémorragie des capitaux qui influe très négativement sur les dépenses publiques réformerait même partiellement notre condition de vie.

 Hypnotisés, écrit-il, en effet par la fécondité de notre terre, nous ne regardons pas assez du côté de la mer. Ici encore il y a beaucoup à faire, beaucoup plus qu’on ne pense. De même que nous n’avons pas su tirer tout le parti désirable des ressources de notre sol, nous n’exploitons pas comme il convient les richesses de nos mers, -généreuses plus qu’aucune autre au monde Possesseurs d’eaux merveilleusement poissonneuses, nous importons, pour des centaines de milliers dollars, des poissons salés et fumés des États-Unis.  Les Haïtiens- nos paysans en particulier- sont les plus grands mangeurs de ‘harengs saurs’ de l’univers. Apprenons-leur à manger nos propres poissons, – je veux dire ceux qui ont été pêchés dans nos eaux. [20]

Bellegarde ne s’est pas contenté de constater la valeur de la richesse enfouie au fond de notre océan.  Il a signalé quelques pistes de solution pour pouvoir en tirer profit :

 J’ai montré combien il est indispensable et urgent de répandre l’instruction agricole parmi les masses paysannes. Ne négligeons pas cependant nos populations du littoral à qui il faudrait donner- puisqu’elles se livrent à la pêche et à la navigation- une instruction adéquate, c’est- à – dire des connaissances qui se rapportent aux choses de la mer et dont elles puissent tirer parti dans l’exercice de leur rude et dangereux métier. Faute de connaître les procédés et les engins les meilleurs en usage, faute de quelques notions océaniques indispensables, nos braves marins dépensent beaucoup d’efforts et n’obtiennent qu’un minimum de résultats. Je n’ai jamais entendu dire que parmi les pêcheurs de Port-au-Prince il en ait eu qui se soient enrichis. Pourtant tout le monde connaît l’histoire de ces deux pêcheurs, italiens qui, après deux ou trois année à la capitale, s’en retournèrent en Italie avec un fort joli magot. Ils réussirent, -parce qu’ils connaissent pleinement leur métier et qu’ils surent organiser méthodiquement la vente de leur marchandise. [21]

Il a mentionné que :

 Cet enseignement tout pratique serait donné dans certaines écoles primaires du littoral.[22]

Dans cette même page, il a conçu cet enseignement en sept points. Nous en retenons seulement deux en vue de les illustrer :

 Voilà, je crois, ce qu’il serait indispensable d’enseigner. On mènerait nos jeunes marins voir le plus souvent possible ce qu’on leur décrit. Le maître les conduirait à bord d’une barque ou d’une goélette quand il aurait à leur décrire une embarcation, ses accessoires ou les engins de pêche. Pour leur faire connaître les différentes espèces de poisson, il leur montrerait les poissons qu’on expose, les jours de marché, à l’examen des acheteurs. 

 Nous avons des maîtres excellents qui pourraient se charger de cet enseignement : ce sont les Frères de l’Instruction Chrétienne. Ils sont de Bretagne, c’est-à-dire de la terre classique de cet enseignement, – l’ayant donné avec succès en France dans leurs écoles du littoral. Ils pourraient le faire avec le même bonheur en Haïti.

C’est bien dommage que l’auteur nous ait emmurés une autre fois encore dans les étreintes du F.I.C. Pourtant avec plus de recherche, il aurait pu suggérer de répertorier des cadres haïtiens expérimentés, capables de transmettre les mêmes connaissances à nos jeunes futurs marins ou à de grands passionnés des mystères de l’océan et de l’halieutique.

  1. « L ’émigration »

Il a abordé ce chapitre par l’interrogation suivante. « Une immigration étrangère est-elle souhaitable ? »

Dans cette partie se sont affrontées deux conceptions différentes. Celle de Bellegarde qui encourage :

Malgré les craintes qu’inspire à la majorité des Haïtiens toute immigration étrangère, je n’ai pas hésité à préconiser le placement dans nos campagnes de familles d’agriculteurs étrangers’ ’s’engageant à telles cultures ou à telles industries déterminées’’. J’y vois en effet un moyen non seulement d’améliorer notre agriculture, mais aussi d’élever le standard de vie de nos populations paysannes par la présence au milieu d’honnête travailleurs, habitués à un genre d’existence et à un confort qu’elles ne connaissent point. Rien ne voudrait, pour ses voisins haïtiens, l’exemple d’un fermier suisse dont l’activité contagieuse s’étendrait à plusieurs lieues à la ronde.   

Toujours d’après Bellegarde, d’autres penseurs et politiciens haïtiens se sont inspirés de la même veine que lui. Il a pris en exemple le livre de Sténio Vincent ‘’ La République d’Haïti telle qu’elle est’’ pour soutenir sa thèse. Lisons sa citation de ce livre :

Dans son livre sur Haïti- le plus documenté, le plus complet qui ait été consacré à ce pays, M. Sténio Vincent préconise, lui, une émigration belge.’’ Nous n’avons pas encore, écrit-il, la véritable immigration, celle de laquelle nous attendons le développement du pays et que nous appellerons l’immigration de pénétration. L’activité de la colonie européenne en Haïti s’est cantonnée jusqu’à présent dans le commerce proprement dit : importation de marchandise pour les revendre, achat de denrées pour les exporter. Or, il y a mille fois mieux à faire. De grandes habitations attendent les bras et les capitaux qui doivent faire jaillir de leur exploitation rationnelle toutes les ressources de richesses que contiennent des régions qui sont peut-être les plus fertiles du monde. C’est la tâche extrêmement fructueuse à laquelle nous nous efforçons de convier les nombreux colons belges d’origine rurale que des circonstances économiques condamnent chez eux à une vie précaire, quelque fois même à une existence de privation et de misère. Si un sérieux courant d’émigration agricole belge pouvait être canalisé vers Haïti, les intérêts vitaux des deux pays y trouveraient largement leur compte. [23]

Et celle (la conception) nettement opposée de Frédéric Marcelin qui a souhaité que :

« Mais ce qu’il faudrait avant tout souhaité, c’est une émigration haïtienne à l’intérieur, celle que Frédéric Marcelin recommande, en termes heureux, dans les lignes suivantes. »

« Ce qu’il faut définitivement à nos champs, pensa Frédéric Marcelin, c’est une émigration soutenue, continue, qui y réside pour donner une vraie leçon de choses. Il faut que cette émigration soit assez nombreuse pour que son enseignement aboutisse. Il faut qu’on la voie s’enrichir pour détruire enfin cette sorte d’admiration morbide qui semble réclamer de ses concitoyens l’Haïtien qui, passagèrement, se réfugie aux champs. »

Cette émigration haïtienne à l’intérieur devrait être organisée et encouragée par le Gouvernement lui-même. A des travailleurs et entreprenants, que le chômage a atteints et qui mènent dans les villes une existence misérable, il concéderait des terres du domaine en fournissant en même temps le capital nécessaire pour l’exploitation : il se formerait ainsi entre l’État et l’exploitant une association dont les bénéfices seraient partagés entre eux suivant une proportion convenue. [24]

C’est Dantès Bellegarde lui-même qui a fourni l’exemple des deux Italiens qui après deux ou trois années de pêche dans le pays avaient eu le temps de retourner chez eux avec un magot digne de ce nom. Malgré cette mauvaise expérience et celles indiquées par celui qui deviendra président de la République, il n’a pas su comprendre que le développement du pays doit être en priorité l’œuvre de ses enfants et non des étrangers qui ne cherchent qu’à le sucer sans merci à leurs propres profits et à ceux de leur patelin d’origine.

Malheureusement, la politique antipopulaire de la classe dirigeante a produit l’effet contraire à celui de Frédéric Marcelin. La paysannerie, malgré une grande résistance, tend à se vider, à se dépeupler. Une catégorie sociale importante, surtout parmi les jeunes, émigre en ville et de plus en plus en terres étrangères.

B) « Et la conviction acquise que la paix est maintenant solidement établie en Haïti »

Pour notre auteur, un tel projet n’est réalisable qu’à la condition qu’une paix solide soit établie, non cette paix superficielle imposée par les baïonnettes de nos anciens généraux friands du pouvoir politique, ou celles des bottes étasuniennes, des macoutes ou des gangs d’aujourd’hui. Dans le développement du sous-titre: ‘’ Un programme d’action agricole’’, il a conjugué l’extension de l’agriculture et de l’installation d’une paix durable. Un autre conseil que les gouvernements successifs ont toujours bousillé. Rappelons-nous ces conseils :

 Que la production actuelle en Haïti soit insuffisante, tout le monde le reconnaît. Qu’elle puisse être multipliée, cela ne fait aucun doute pour personne.

 Pour ramener vers la terre toutes les activités et toute l’épargne disponibles, il faut que certaines conditions soient réalisées.

La première de ces conditions nécessaires au travail agricole, c’est la paix-         non celle qui repose sur les baïonnettes- mais la paix féconde et durable, fondée sur la justice et sur la loi, qui permet d’envisager sans crainte les résultats futurs d’une entreprise future.  

Cette paix sera obtenue lorsque nous aurons :1o organisé, sur des bases sérieuses, la police des campagnes ; 2o fortifié le respect des conventions par la distribution d’une bonne justice rurale ; 3o assuré la protection du travail agricole en le libérant de toutes les entraves qui les gênent.

Un plan d’organisation économique, pratique, répondant aux divers besoins de notre agriculture, doit être mis en application.

L’école ne pouvant agir que sur les générations à venir, nous devons trouver, dès maintenant, le moyen d’augmenter la valeur professionnelle du paysan haïtien et le rendement de son travail :

1o par l’organisation d’un enseignement nomade de l’agriculture ;

2o par la constitution des fermes à cultures spécialisées (caféières, cotonnières, cacaoyères, etc.) dont l’exploitation modernisée servira de modèle aux propriétaires ;

3o par l’institution de jardins annexés aux écoles de l’intérieur ;

4o par l‘établissement de champs d’expériences ;

5o par la distribution gratuite de semences sélectionnées ;

6o par la création de pépinières pour les plantes qu’il y a intérêt à acclimater en Haïti ;

 7o par un système de primes propres à encourager la production et la bonne préparation de certaines denrées exportables, etc. [25]

Quand l’homme politique, dont nous considérons les propositions, a fait allusion à une paix qui ‘’ne repose pas sur les baïonnettes’’, il condamnait non seulement les turbulences des généraux/ grands dons qui utilisaient la force brutale pour se hisser au pouvoir d’avant l’occupation yankee de 1915, mais aussi la violence impérialiste qui désormais impose ses lois au mépris de toutes les autorités haïtiennes. Il a craché sur cette imposition de la baïonnette yankee quand il a dit à l’auditoire :

 C’est ce programme que je voulus appliquer en 1918. L’échec que les autorités américaines firent subir à mes projets d’organisation rurale et de réforme agricole est le souvenir le plus cruel que j’aie gardé de mon passage au gouvernement.  [26]

Dantès Bellegarde avait réitéré son adhésion à la paix quelques années plus tard dans une autre circonstance mais toujours dans la même veine en rejetant dans sa mesure l’oppression impérialiste étasunienne avec ces mots :

Je suis par conséquent, partisan d’un traité par lequel l’accord de nos intérêts réciproques serait précisé et qui laisserait intactes l’indépendance politique et l’intégrité territoriale et administrative de notre pays.

Cette tâche de libération, à laquelle devra se dévouer le gouvernement avec tout l‘élan de son cœur et tout le tact d’une diplomatie intelligente et mesurée, sera poursuivie sans défaillance, jusqu’au succès. Mais son œuvre la plus urgente sera de rétablir la paix parmi le peuple et de faire l’apaisement dans les esprits.

Le gouvernement devra faire une politique systématique de paix intérieure, basée non sur la force brutale des baïonnettes mais sur le consentement des cœurs et l’adhésion des volontés.   [27]

Les paroles que nous avons évoquées dans toutes ces pages ne découlaient pas des lèvres d’un militant révolutionnaire même au cours de cette période où le marxisme après la révolution bolchévique de 1917 ouvrait de grand espoir à tous les peuples opprimés. Au contraire, de ces paroles fusaient des cris d’alarme d’un patriote libéral avec une forte tendance physiocrate qui était à la recherche d’un décollement structurel de sa terre natale.

Quel système politique prônait-il ?  

Le régime nouveau qu’il conviendrait d’introduire enfin chez nous, c’est le libéralisme, croit-il, si souvent invoqué dans nos manifestes politiques et jamais appliqué.

 Car j’appelle libéralisme, non le parlementarisme autoritaire de Pétion, non le laisser-aller de Boisrond-Canal, mais le gouvernement de la loi dans la liberté et la direction honnête des affaires publiques contrôlée par les organes à qui la Constitution a confié cette fonction nécessaire de contrôle.[28]

Bellegarde a bien identifié son libéralisme qu’il n’a jamais abjuré en l’opposant au communisme. Pour faire suite à son idée, il a ajouté ce qui suit :

Quand la police veut justifier ses violences contre un opposant, on l’appelle communiste. S’il y a des communistes en Haïti, on ne peut les trouver que parmi les intellectuels purs qu’amuse le jeu des idées. Cela n’a aucune importance.

Ramené à ses termes essentiels, le communisme est ‘’la doctrine de la communauté des biens appliqués non seulement aux moyens de production, mais aussi aux objets de consommation’’… Demander au paysan haïtien de renoncer à la propriété de sa terre pour la confier à je ne sais quel prolétariat organisé- organisé par qui- c’est le pousser à la révolte ou risquer soi-même de se faire couper la tête.[29]

Cette fausse interprétation du marxisme ou du communisme n’a pas seulement traduit son mépris de cette science révolutionnaire mais elle en a aussi clarifié son ignorance.

Dantès Bellegarde rêvait-il les yeux et l’esprit grand ouverts quand ils agitaient ces problèmes ? Pourquoi ses propositions alternatives ont toujours été tues par l’ensemble de la classe politique de droite qui s’est succédé depuis au pouvoir en dépit de leur urgence ?  Est-ce toujours l’opposition affichée par les occupants et dénoncée par Bellegarde qui paralyse cette classe ?  

Plus les années coulent, plus les propos de Dantès Bellegarde semblent s’éloigner des perspectives de la classe politicienne dirigeante. Bellegarde a priorisé dans ces pages le secteur primaire avec un accent particulier sur l’agriculture et ses branches connexes qui sont l’élevage et la pêche. Beaucoup de choses ont changé depuis lors. Mais la nature des besoins est restée identique et attend toujours la bonne réponse en emboîtant le pas à tous les niveaux scientifique et technique du monde dans le respect de ses richesses naturelles et de son environnement. Mais pour toute réussite de ce projet, il s’est avéré nécessaire que la paix se soit établie dans une atmosphère de souveraineté nationale. Sans baïonnettes ni d’ici, ni d’ailleurs.

Les baïonnettes ont changé de camp. Elles sont passées des mains des généraux /grands dons à celles des bottes étasuniennes depuis l’invasion du 28 juillet 1915 et des forces armées, leurs affidées. Ces bottes sont devenues plus ferrées depuis plus de trois décennies. Le départ en août 1934 des marines n’a donné qu’une autre configuration à l’occupation. Les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ne sont jamais parvenus à rétablir cette paix indispensable aux initiatives de progrès et se sont caractérisés par leur inféodation à l’égard des puissances occidentales, notamment des États-Unis d’Amérique. Du dictateur François Duvalier à cette présidence de transition de neuf membres, il y a toujours une force parallèle et d’apparence illégale qui terrorise la population avec cette double mission : protéger le système et le pouvoir qui le soutient certes sans arriver à étouffer des contradictions internes au sein du système et des membres de la classe dirigeante.

Mais aucun de ces régimes ne s’est montré capable de proposer à la nation un projet alternatif qui le délivrerait de ses marasmes sociaux politiques et économiques. La droite s’entortille de plus en plus dans une tradition paralysante qui lui rend incapable d’amorcer le moindre signe de progrès. Pis encore, elle est allergique à ce dernier. Elle a adopté depuis les années dictatoriales des Duvalier le chemin de la zone franche et de la sous-traitance à apparence plus facile afin de s’affranchir de toute présence syndicale militante et s’est contentée de grignoter les quelques dividendes issus des impôts imposés par les multinationales elles-mêmes. Elle a fait du néolibéralisme et de son corollaire le ‘programme d’ajustement structurel’- le PAS- son nouveau bréviaire.

La classe de la petite paysannerie est directement victime de cette application néolibérale. Elle est incapable de concurrencer les produits importés, dont certains sont subventionnés dans leur pays d’origine, du fait de la baisse ou même de l’annulation des taxes sur ces produits, imposées par l’ajustement structurel. Les autorités gouvernementales au lieu de protéger ces petit(e)s propriétaires, s’acoquinent avec les multinationales pour les expulser de leur lopin de terre que leurs grands-parents travaillaient depuis de longues années. Georges Eddy Lucien a rapporté que :

Les zones franches sont instituées en Haïti par la loi du 24 juillet 2002. Neuf mois plus tard, le 8 avril 2003, la première zone franche frontalière, la CODEVI, y voit le jour. Elle s’implante sur une surface de 80ha dans la première section communale de Ouanaminthe, la plaine de Maribahoux, l’une des zones les plus fertiles d’Haïti. Celle-ci représente une large part des terres irrigables du Nord-Est. Ses sols présentent une texture franche. Ce sont en effet des terres alluvionnaires riches et profondes à bonne potentialité agricole, qu’arrose un réseau hydrographique bien alimenté. On y cultive une agriculture paysanne fondée sur la polyculture de la banane, de la patate douce, de la tomate, du chou, de l’aubergine et de divers haricots.

 Les 172 familles qui y vivent sont en grande partie simplement expropriées et contraintes de laisser le site.[30]

Joint à tout cela, le mépris de ces autorités à apporter à cette classe abandonnée à son triste sort aucune aide technique qui l’aiderait à améliorer sa production et à mieux protéger le sol.  C’est cette réalité qui intensifie aujourd’hui la dépopulation des sections communales, débutée depuis les grandes expropriations des premières années de l’occupation étasunienne. Il en résulte un afflux d’émigré(e) s- mais dans le sens opposé proposé par Frédéric Marcelin-  mal compris par plus d’un pour qui ces émigré(e)s sont des paresseux qui fuient le travail de la terre pour parasiter les villes.[31] La population rurale s’est réduite de deux tiers au profit de la population urbaine selon les chiffres de l’IHSI mis au bas de page. Nous nous adhérons de préférence à l’analyse suivante qui nous éclaire sur la structure du système capitaliste dominant dont Haïti constitue une maille de la chaîne :

Les petits producteurs marchands mettent en œuvre- parfois simultanément- une série de stratégies de survie. Ils sont régulièrement amenés à vendre leur force de travail à l’intérieur et hors de l’agriculture. Ils cumulent et combinent plusieurs emplois : celui de travailleur sans terre, de petit paysan, d’ouvrier d’agricole ou d’usine, de petit commerçant en ville… Pour Bernstein, cette incapacité à assurer sa reproduction hors des circuits marchands traduit une forme de ‘’ marchandisation de la subsistance’’. Bien qu’il ne prenne pas la forme de travail salarié’’ libre’’- le travail est bien subsumé sous le capital.   ‘’[32]

Sans verser dans la physiocratie de Bellegarde qui n’est pas dépourvue de mérite surtout en tenant compte de ses propositions, de l’époque et de la conjoncture où il évoluait, la filière agricole n’a rien perdu de sa force, de sa prépondérance dans le maintien de l’équilibre de l’économie haïtienne et dans sa requête de la souveraineté alimentaire. Cela ne tient pas seulement du nombre important de ses occupantes et occupants et du volume d’emploi direct et indirect qu’elle leur offre, mais aussi de sa fréquence et de sa régularité sur le marché alimentaire national et de sa constante contribution, via l’exportation de ses produits, au fonctionnement de l’administration publique.

Toutes les évidences ont démontré que :

le bloc au pouvoir[33] : grands propriétaires fonciers, bourgeoisie commerciale, bourgeoisie industrielle, bourgeoisie financière, grand capital monopoliste, capital moyen, bourgeoisie compradore, bourgeoisie nationale:[34]  et la classe ou fraction régnante (qui) est celle qui occupe les avant-postes de la scène politique, celle d’où se recrutent les ‘’ sommets’’ de la scène politique[35] ont même perdu la volonté de défendre la souveraineté nationale que  ce bloc et la classe régnante d’avant 1915 prônaient, certes,  avec une certaine faiblesse quand les ennemis du gouvernement sollicitaient le concours des puissances étrangères  pour l’attaquer ou  quand le gouvernement imitait ses ennemis dans le sens de la même demande  pour se protéger.  Le bloc au pouvoir et la classe dirigeante ne respirent désormais que sous la dictée impérialiste à un point tel que les résultats des élections ne dépendent plus d’eux mais plutôt de cette dernière. Car, déjà en amont, les élections sont préparées et organisées pour exclure la volonté populaire de toute participation active à la vie politique publique. Le plus gros des avantages et des facilités est allé au profit de la mafia interne, des contrebandiers, et des escrocs de tout acabit. Le poids que l’argent a atteint de plus en plus depuis la campagne électorale jusqu’au jour du scrutin élargit davantage le fossé entre les classes dominantes et les masses populaires.

L’absence en Haïti du grand capital monopoliste’’ dont les principaux sièges se trouvent chez les grandes puissances capitalistes et de celle de la bourgeoisie nationale[36], n’enlèvent pas aux autres composantes du  bloc au pouvoir leur capacité de contrôle sur la politique du pays. Ainsi la gauche progressiste et révolutionnaire a-t-elle une lourde tâche à accomplir : celle de redresser la situation avec de nouvelles initiatives militantes pour reprendre le pouvoir tracé par la révolution de 1804.

Références et note de bas de page 

[1] Dantès Bellegarde : Discours intitulé ‘’ Une politique de la production’’ prononcé à l’Association Internationale des Hommes d’Affaires d’Haïti, décembre 1923. In ‘’Un Haïtien qui parle’’. P 104. Port-au-Prince Chéraquit, Imprimeur-Éditeur,1516, Rue du Docteur –Aubry,1934.

[2] Dantès Bellegarde: Ibid. 122.

[3] Alain Turnier Avec Merisier Jeannis. Une tranche de vie jacmélienne et nationale. Imprimerie Le Natal. Port-au-Prince, Haïti. Février 1982.P 19.

[4] Alain Turnier. Ibid. P. 19

[5] Léon- François Hoffmann’’ Jacques Roumain et la parole paysanne’’ in Jacques Roumain Œuvres complètes. Édition Critique Coordinateurs Léon-François Hoffmann et Yves Chemla. CNRS éditions Item. P.1265.Année 2018.

[6] Dantès Bellegarde : Ibid. 122

[7] Dantès Bellegarde: Ibid. P. 69

[8] Dantès Bellegarde: Ibid. P 130

[9] Dantès Bellegarde  : Ibid. P 130

[10] Dantès Bellegarde. Ibid. P 121.

[11] Dantès Bellegarde. Ibid. P 133

[12] Dantès Bellegarde. Ibid. 119

[13] Dantès Bellegarde. Ibid. P.121

[14] Dantès Bellegarde. Ibid. P 134

[15] Dantès Bellegarde.Ibid.P.110

[16] Dantès Bellegarde. Ibid. P.116

[17] Dantès Bellegarde. Ibid. P 109.

[18] Dantès Bellegarde. Ibid. P 117

[19] Veronika Bennholdt-Thomsen’’ Les paysannes face à l’anthropocène. Actuel Marx no 75. P 72,

[20] Dantès Bellegarde. Ibid. P .123

[21] Dantès Bellegarde. Ibid. P.123

[22] Dantès Bellegarde. Ibid. 124.

[23] Dantès Bellegarde.Ibid.P.126.

[24] Dantès Bellegarde. Ibid.P.127-128

[25] Dantès Bellegarde.Ibid. P 120

[26] Dantès Bellegarde. Ibid. P.123

[27] Dantès Bellegarde. Ibid.’’ P.174. Discours prononcé à Parisiana, Port-au-Prince, le 8 novembre 1925, à l’assemblée générale de la Ligue Haïtienne des Droits de l’Homme. V. Le Nouvelliste des 9,10,11 novembre 1925 et la Poste, mars 1926. Le discours a eu pour thème : ‘Libération nationale et Politique de Paix Intérieure’

[28] Dantès Bellegarde. Ibid.’’ P.176. Discours prononcé à Parisiana, Port-au-Prince, le 8 novembre 1925, à l’assemblée générale de la Ligue Haïtienne des Droits de l’Homme. V. Le Nouvelliste des 9,10,11 novembre 1925 et la Poste, mars 1926. Le discours a eu pour thème : ‘Libération nationale et Politique de Paix Intérieure’.

[29] Dantès Bellegarde. Ibid. P.176

[30] Georges Eddy Lucien’ Le Nord-Est d’Haïti. L’Harmattan 2018. P269

[31] Le dernier rapport de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique sous le titre « Estimations Désagrégées de la population Haïtienne en 2024 » nous ont livré les données suivantes : ‘’Répartition de la population par sexe :

Ensemble

11 867 032.

Urbain : 7 920 521. Rural 3 946 511

Masculin

: 5 873 888.

: Urbain 3 869 626.  Rural 2 004 262

Féminin

: 5.993 144.

Urbain 4 050 895.  Rural 1 942 249

[32] Édouard Morena et Thierry Pouch.  ‘’ L’inépuisable débat sur l’agriculture dans ses rapports avec le capitalisme’’ Actuel Marx no 75. P 60

[33]

Dans une formation sociale d’après Nicos Poulantzas composée de diverses classes, et dans une formation capitaliste, où la classe bourgeoise est constitutivement fractionnée en fractions de classe, le terrain de la domination politique n’est pas occupé par une seule classe ou fraction. On y trouve, suivant les stades et les phases, plusieurs classes ou fractions de classes dominantes, constituées par rapport à l’état, en une alliance spécifique ; le bloc au pouvoir : grands propriétaires fonciers, bourgeoisie commerciale, bourgeoisie industrielle, bourgeoisie financière, grand capital monopoliste, capital moyen, bourgeoisie compradore, bourgeoisie nationale. Mais cela ne veut pas dire que le pouvoir d’État est’’ partagé’’ de façon ‘’équilibrée’ ’parmi ces classes et fractions. Ce que l’on constate en général, c’est qu’une classe ou fraction parmi ces classes et fractions politiquement dominantes réussit à imposer sa direction au bloc au pouvoir, en contrôlant réellement les appareils décisifs de l’État, et en unifiant le bloc sous son égide : c’est la classe ou fraction hégémonique, qui change suivant les stades et phases, et suivant les formes d’État. » Nicos Poulantzas dans un article intitulé “K. Marx et F. Engels paru sous la direction de François

Châtelet’’ La philosophie de Kant à Husserl. P. 181.

 

 

[36] Alix Lamaute in ‘’ La bourgeoisie nationale une entité controversée’’ a écrit : « En Haïti, l’accumulation primitive de capital a été réalisée en majeure partie par les puissances étrangères, colonialistes et néo-colonialistes ; par suite, l’accumulation nationale y a été essentiellement de caractère bureaucratique et parasitaire, et ses bénéficiaires sont foncièrement antinationaux. »

« Les couches des commerçants moyens autochtones ne peut pas être assimilée à la bourgeoisie nationale au sens stricte, compte tenu du fait que, de par l’essence de ses activités, elle ne tend pas à briser le pouvoir d’inertie des structures semi-féodales, mais plutôt à le maintenir comme sa propre condition d ; existence ». P. 109-110 CIDIHCA. Année 1999.

 

Marc-Arthur Fils-Aimé

Juin 2025

Economie

Eksperyans (3) | Sa ki fèt ak lajan ki antre nan aktivite boulanje Pen Lakay

Twazyèm piblikasyon sa a toujou konsène boulanje « Pen Lakay » ki nan Marigot. Nou pral prezante sa ki fèt ak lajan ki antre nan aktivite antrepriz la. Menm jan ak de premye piblikasyon yo, sa a ekri nan twa (3) lang: kreyòl, franse ak angle.

Lajan ki antre nan aktivite boulanje a kontribye nan bay kominote a sèvis atravè 3 mekanis: 1- kontribisyon nan salè pwofesè ak pèsonèl administratif yon lekòl kominotè, 2- ranfòsman kapital yon bank kominotè, 3- sipò pou kouvri kèk depans nan lojistik ki gen pou wè ak fonksyònman rezo asosyasyon ki mèt antrepriz la.

Lekòl kominotè a sitou akeyi timoun ki soti nan fanmi ki pa gen gwo mwayen lajan. Kòb paran yo peye lekòl la pa vrèman ka peye anplwaye yo. Nan sitiyasyon sa a, kontribisyon boulanje a enpòtan pou fonksyònman lekòl la. Li pèmèt direksyon an konplete yon sipò finansye ICKL bay pou peye salè yo. Enstiti a jwenn sipò sa a nan men Christian World Service (CWS) ki Nouvèl Zeland ak Église Unie ki Kanada.

Kanta bank kominotè a, li bay moun ki sitou nan ti komès enfòmèl kredi ak yon to 1% chak mwa. Se gwoup 5 moun ki pataje responsablite ranbousman kredi a ansanm ki jwenn li. Se yon bank ki gen yon tikal enfrastrikti ak yon nivo egzijans ki pi ba pase bank komèsyal yo. Fonksyònman bank kominotè a chita sou relasyon konfyans ki tabli nan kominote a.

Depans pou lojistik lajan ki antre nan boulanje a kouvri yo sitou konsène transpò, ti goute ak kominikasyon nan kad aktivite rezo asosyasyon ki mèt antrepriz la ap fè.

Expériences intéressantes | Usage des revenus de la boulangerie Pen Lakay

Cette troisième publication concerne encore la boulangerie « Pen Lakay » de Marigot. Nous y présenterons l’usage des revenus générés par l’entreprise. À l’instar des deux premières publications, celle-ci est rédigée en trois (3) langues : créole, français et anglais.

Les revenus générés par la boulangerie contribuent à offrir des services à la communauté à travers 3 mécanismes : 1- contribution aux salaires du personnel enseignant et administratif d’une école communautaire, 2- renforcement du capital d’une banque communautaire, 3- appui à la prise en charge de certaines dépenses logistiques liées au fonctionnement du réseau d’associations propriétaire de l’entreprise.

L’école communautaire accueille principalement les enfants des familles de faibles revenus. Les frais scolaires versés par leurs parents sont largement insuffisants pour payer le personnel. Dans ces conditions, la contribution de la boulangerie est importante pour le fonctionnement de l’école. Elle permet à la direction de compléter un appui financier de l’ICKL pour payer les salaires. L’institut reçoit de cet appui de Christian World Service (CWS) de la Nouvelle-Zélande et de l’Église Unie du Canada.

Quant à la banque communautaire, elle offre du crédit à un taux mensuel de 1% à des personnes engagées pour la plupart dans le petit commerce informel. Les prêts sont accordés à des groupes de 5 personnes solidairement responsables du remboursement. Il s’agit d’une banque qui dispose de très peu d’infrastructures, avec un niveau de formalité moindre que celui des banques commerciales. Le fonctionnement de la banque communautaire est basé sur les relations de confiance établies dans la communauté.

Les dépenses de logistique assurées grâce aux revenus de la boulangerie concernent principalement le transport, la collation et la communication liés aux activités du réseau d’associations propriétaire de l’entreprise.

Interesting experiences | Using revenues from the Pen Lakay bakery

This third publication concerns the Pen Lakay bakery in Marigot. In it, we present the use of revenues generated by the company. Like the first two publications, this one is written in three (3) languages: Creole, French and English.

The revenues generated by the bakery contribute to providing services to the community through 3 mechanisms: 1- contribution to the salaries of the teaching and administrative staff of a community school, 2- strengthening the capital of a community bank, 3- support for certain logistical expenses linked to the operation of the network of associations that own the business.

The community school mainly caters for children from low-income families. The school fees paid by their parents are largely insufficient to pay the staff. Under these conditions, the bakery’s contribution is important to the running of the school. It enables the management to supplement financial support from the ICKL to pay salaries. The institute receives this support from Christian World Service (CWS) of New Zealand and the United Church of Canada.

As for the community bank, it offers credit at a monthly rate of 1% to people mostly engaged in small-scale informal trade. Loans are granted to groups of 5 people who are jointly responsible for repayment. This is a bank with very little infrastructure, and a lower level of formality than that of commercial banks. The community bank’s operations are based on relationships of trust established within the community.

The logistical expenses covered by the bakery’s income mainly concern transport, snacks and communication linked to the activities of the network of associations that own the business.

Economie, Société

Eksperyans (2) | Fonksyònman boulanje Pen Lakay ak mannyè li vann

Dezyèm piblikasyon sa a toujou konsène boulanje Pen Lakay ki nan Marigo. Ladan li, n ap gade fonksyònman antrepriz la ak mannyè li vann. Menm jan ak premye piblikasyon an, dezyèm sa a ekri nan twa (3) lang : kreyòl, franse ak anglè.

Se yon manm youn nan òganizasyon patnè nou yo sou teren an k ap jere boulanje Pen Lakay chak jou. Moun sa a kwòdone travay yon ekip genyen 5 anplwaye. Yon komite jesyon la pou voye je chak semenn sou jan boulanje a ap fonksyone.

Antrepriz la gen ekipman ki ka bay bon sèvis : fou ki mache ak gaz pwopàn, moulen farin elektrik, dèlko, elatriye. Ekipman sa yo rann pwodiksyon an pi fasil epi li pèmèt boulanje a pwodui yon bon kantite pen. Sa ki fè tou antrepriz la ofri pi bon kalite pen ak yon pri ki pi ba.

Se yon rezo machann ki fè boulanje a vann pen an. Nan moman antrepriz la te atenn pi gwo volim pwodiksyon li nan peryòd 2017-2018 la, rezo a te genyen 52 machann. Men depi pwodiksyon an ap bese a, kantite machann yo desann jiska 15. Se yo ki pote pen an pi pre popilasyon an. Gras ak boulanje a, machann ki nan rezo a gen yon revni ki estab.

Expériences inspirantes | Boulangerie Pen Lakay : fonctionnement et commercialisation

Cette deuxième publication concerne encore la boulangerie « Pen Lakay » à Marigot. Nous y présenterons le fonctionnement de l’entreprise et son procédé de commercialisation. À l’instar de la première publication, celle-ci est rédigée en trois (3) langues : le créole, le français et l’anglais.

La gestion quotidienne de la boulangerie Pen Lakay est assurée par un membre de l’une de nos organisations partenaires sur le terrain. Cette personne coordonne le travail d’un personnel de 5 employés. Le fonctionnement de la boulangerie est supervisé de façon hebdomadaire par un comité de gestion.

L’entreprise dispose d’équi-pements performants : four à propane, laminoir à pâte électrique, génératrice… Ces équipements facilitent le processus de production et permettent une économie d’échelle. Cela permet à l’entreprise d’offrir un pain de meilleure qualité et à moindre coût.

La commercialisation du pain est assurée par un réseau de marchandes. Durant le pic de production de 2017-2018, celui-ci comptait 52 marchandes. Mais depuis le ralentissement de la production, le réseau est réduit à une quinzaine de marchandes. Celles-ci apportent le pain au plus près de la population. Grâce à la boulangerie, les marchandes du réseau ont des revenus stables.

Inspiring experiences | Bakery Pen Lakay : operation and commercialization

This second publication concerns the « Pen Lakay » bakery in Marigot. In it, we present the company’s operation and its commercialization. Like the first publication, this one is written in 3 languages: Creole, French and English.

Daily management of the Pen Lakay bakery is handled by a member of one of our partner organizations in the field. This person coordinates the work of a staff of 5 employees. The operation of the bakery is supervised on a weekly basis by a management committee.

The bakery is equipped with high-performance equipment, including a propane oven, an electric dough sheeter and a generator. This equipment facilitates the production process and enables economies of scale. This enables the company to offer better quality bread at lower cost.

The bread is marketed by a network of merchants. During the peak of production in 2017-2018, this network included 52 merchants. But since the production slowdown, the network has been reduced to around fifteen merchants. They bring the bread closer to the population. Thanks to the bakery, the network’s merchants have a stable income.

Economie

Eksperyans (1) | Boulanje Pen Lakay nan premye moman li yo

Premye piblikasyon sa a konsène boulanje Pen Lakay ki nan Marigo. Ladan li, n ap gade kreyasyon antrepriz la ak premye moman li yo. Menm jan ak tout piblikasyon nan seri « Sou Teren » an, sila a ekri nan twa (3) lang : kreyòl, franse ak anglè.

Eksperyans boulanje “Pen Lakay” nan Marigo
Aprè li te fin kreye an 2016, boulanje a te atenn pi gwo volim pwodiksyon li pandan lane 2017-2018 la : pou pi piti 300 sak (50 kg) farin ble nan yon mwa nan yon komin ki genyen 74,700 moun, daprè chif Enstiti Ayisyen Estatistik ak Enfòmatik (IHSI an fransè) te bay nan lane 2015.
Akoz gwo kriz ki genyen nan peyi a, espesyalman wout nasyonal yo ki bloke, pwodiksyon boulanje a bese, paske li difisil pou pwodiktè yo jwenn matyè premyè yo (espesyalman farin ble a) epi pri yo moute tou. Sa ki fè, depi finisman lane 2018, volim pwodiksyon boulanje a desann nan 100 sak pou yon mwa.
Pou pwodiktè yo ka kontrekare konsekans kriz nou pale pi wo a, pou yo pa esklav farin ble a tou, yo anvizaje transfòme yon seri pwodui agrikòl, tankou pòmdetè ak lamveritab pou yo ka fè farin.
Boulanje Pen Lakay rete yon sous revni enpòtan ak yon mwayen pou simante bon relasyon travay nan mitan rezo asosyasyon patnè ICKL yo ki nan Marigo.
Les expériences de la boulangerie Pen Lakay (Pain local) à Marigot
Cette première publication concerne la boulangerie Pen Lakay à Marigot. Nous y reviendrons sur la création de l’entreprise et ses premiers instants. Comme toutes les publications de la série « Sou Teren », celle-ci est rédigée en trois (3) langues : créole, français et anglais.
Après sa création en 2016, la boulangerie a atteint son pic en matière de volume de production au cours de l’année 2017-2018 : en moyenne 300 sacs (de 50 kg) de farine de blé par mois dans une commune dont la population fut estimée en 2015 à 74,700 habitants, selon les données de l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (IHSI).
En raison de la grande crise à laquelle le pays est confronté, notamment le blocage des routes nationales, la production de la boulangerie a diminué, car il est difficile pour les producteurs de s’approvisionner en matières premières (principalement de la farine de blé) et les prix augmentent parallèlement. En conséquence, depuis la fin de 2018, le volume de production de la boulangerie a chuté à 100 sacs par mois en moyenne.
Face aux conséquences de la crise évoquée plus haut, afin aussi d’éliminer leur dépendance de la farine de blé, les producteurs envisagent de transformer des produits agricoles tels que la pomme de terre et le fruit à pain pour en faire de la farine.
La boulangerie Pen Lakay continue d’être une importante source de revenus et un levier de cohésion pour le réseau des associations partenaires de l’ICKL à Marigot.
Experiences from the bakery Pen Lakay in Marigot
This first publication is about the Pen Lakay bakery in Marigot. In it, we look back at the creation of the company and its early days. Like all publications in the « Sou Teren » series, this one is written in three (3) languages: Creole, French and English.
After its creation in 2016, the bakery reached its peak in terms of production volume during the 2017-2018 year: an average of 300 bags (of 50 kg) of wheat flour per month in a commune whose population was estimated in 2015 at 74,700 inhabitants, according to data from the Haitian Institute of Statistics and Informatics (IHSI in French).
Due to the major crisis the country is experiencing, including the blocking of national roads, bakery production has decreased, as it is difficult for producers to source raw materials (mainly wheat flour) and prices are rising in parallel. As a result, since the end of 2018, bakery production volume has fallen to an average of 100 bags per month.
Faced with the consequences of the aforementioned crisis, also in order to eliminate their dependence on wheat flour, producers consider processing agricultural products such as potatoes and breadfruit to make flour.
The Pen Lakay bakery continues to be an important source of income and a lever of cohesion for ICKL’s network of partner associations in Marigot.